
Mise en lumière par un fait divers dramatique, la communauté protestante évangélique est en pleine croissance. Un phénomène planétaire.
par actualitechretienne
Le plancher qui s’est effondré le 8 avril sous les membres d’une communauté évangélique haïtienne, à Stains, en Seine-Saint-Denis, causant la mort d’une femme et d’une fillette, a attiré l’attention du public sur une communauté méconnue mais pourtant en plein essor : les évangéliques. Tragiquement mise en relief par cet accident, leur difficulté à trouver des lieux de culte décents, moins médiatisée mais, selon eux, plus réelle que pour les musulmans, traduit l’augmentation rapide et anarchique de leur communauté. « Tout le monde s’émeut après le drame de Stains, proteste ainsi le pasteur Luc Saint-Louis, fondateur de l’Union des Églises évangéliques haïtiennes et afro-caribéennes, mais d’autres Églises évangéliques sont installées dans des conditions bien pires. » Une difficulté qui fait les affaires de “marchands de culte” peu scrupuleux qui louent parfois très cher des locaux insalubres.
L’Église de Stains, comme beaucoup d’autres, s’était constituée en Église indépendante. Dirigée par un pasteur autoproclamé, non reconnue par une fédération, elle ne bénéficiait ni de soutien ni de supervision. « Ce n’est pas la bonne voie à suivre », déplore Daniel Liechti, directeur du développement des lieux de culte au sein du Conseil national des évangéliques de France (Cnef).
De son côté, le président de la Fédération protestante de France (FPF), Claude Baty, appelle à un « changement de mentalité ». Selon lui, en effet, « beaucoup de banques et de mairies sont frileuses pour aider ces communautés », quand bien même il ne s’agit que de louer des locaux et non d’une aide financière. En cause, la peur du communautarisme, d’une multiplication des revendications identitaires, la difficulté à trouver un interlocuteur clairement identifié au sein des communautés, voire, à un autre niveau, la crainte des nuisances sonores engendrées par les offices.
Ces évangéliques, qui sont-ils ? Ils existent depuis le XVIe siècle. À l’origine, ils considèrent que la réforme de Luther n’est pas assez radicale et prônent une lecture littérale de la Bible, une caractéristique qui perdure encore. « La Bible, c’est un peu leur code de la route », explique Linda Caille, auteur d’un livre sur la question évangélique. Le nombre de fidèles a décuplé depuis l’après-guerre, passant de 50 000 à un demi-million. On estime qu’en moyenne une Église évangélique ouvre tous les dix jours – parmi elles de nombreuses “Églises spontanées indépendantes” – celles dont le caractère mouvant et recomposé complique précisément l’insertion dans la cité. Une communauté éclatée en des myriades d’appellations mais qui a pour trait commun un grand dynamisme et un taux de pratique sans égal. Selon Sébastien Fath, historien spécialiste du protestantisme, il existe en France 4 000 lieux de culte protestant, dont 2 600 évangéliques. Sur les 600 000 pratiquants que comptent les 1,7 million de protestants, 460 000 sont des évangéliques ! Même si pour eux foi et pratique sont presque indissociables, la comparaison reste éloquente : 60 % d’entre eux vont au moins une fois par semaine à l’office, contre 9 % chez les protestants luthériens orthodoxes. Implantée dans les communautés antillaises, africaines ou asiatiques, la doctrine évangélique séduit aussi la communauté des gens du voyage.
Si l’exubérance de certaines célébrations (notamment chez les pentecôtistes charismatiques), signe selon les évangéliques de l’intervention spectaculaire du Saint-Esprit, les a rendus célèbres, elle n’est pas la norme. Les Églises évangéliques ont avant tout en commun une foi épurée et la croyance en une relation directe et individuelle à Dieu. En témoigne l’importance donnée à la démarche personnelle d’adhésion selon la formule “On ne naît pas chrétien, on le devient”. Le baptême se reçoit le plus souvent à l’âge adulte – on parle alors de “nouvelle naissance” (“born again” en anglais). Une religion tournée vers le changement personnel qui met en avant comme “critère moderne de vérité” l’expérience concrète de vies améliorées par la conversion. Les convertis se trouvent autant chez les athées que chez les musulmans ou les catholiques. Ainsi Marie, 24 ans : « Ici, je me sens libre et surtout on ne me juge pas. Je trouve l’Église catholique trop stricte, trop carrée et pas assez ouverte. […] On ressent beaucoup plus les choses par le chant et la danse, on parle directement à Dieu alors que dans le catholicisme, le prêtre est toujours un intermédiaire. »
Des attitudes qui alimentent la critique : « Effet de mode », « croyance à la carte », « refus de la verticalité » ou encore « vision simpliste du monde ». Les Églises évangéliques sont aussi accusées d’encourager un repli sectaire favorisé par l’émiettement des communautés et d’être particulièrement prosélytes. Une critique que Dominique Leuliet, converti de 52 ans, organisateur de la Marche pour Jésus, repousse : « À part le judaïsme, toutes les religions sont prosélytes. Nous, nous faisons la promotion de la parole de Dieu, nous ne demandons pas aux gens de rejoindre nos Églises. » Tous s’estiment en outre convaincus de la nécessité du témoignage, de l’engagement militant pour « lever le manteau de réticence à confesser sa foi » qui recouvre la France.
Si d’importants clivages, tant théologiques que culturels, les séparent des protestants luthériens et des catholiques, les évangéliques se rapprochent néanmoins davantage des seconds que des premiers du point de vue des sujets de société : ainsi 60 % d’entre eux (contre 12 % aux luthériens) considèrent que le droit à l’avortement n’a pas à être défendu et 72 % (contre 38 %) se disent opposés à l’euthanasie.
Les évangéliques constituent aujourd’hui les principaux vecteurs de diffusion du christianisme en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Le Nigeria compte plus de protestants que l’Allemagne, patrie du protestantisme ; quant au Brésil, plus grand pays catholique du monde, 15 % des fidèles auraient déjà rejoint des Églises évangéliques. Principale force de renouvellement du protestantisme ou preuve du délitement de ses structures traditionnelles, l’engouement évangélique est une question posée à toute la chrétienté moderne. Mickaël Fonton
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