Par Sophie Lebrun
ENQUÊTE - Internet bouleverse nos manières de communiquer et de dialoguer. Y compris au sein des Églises. Cette « révolution » est-elle suffisamment prise en compte par les institutions ?
Un jugement que partage Didier Long, directeur d’Euclyd, cabinet de conseil en stratégie e-business, et ancien moine bénédictin : « Quand je regarde les sites des paroisses catholiques, je retrouve le maillage géographique de l’Église. Or les religions qui se développent dans la globalisation actuelle ne sont pas liées à un territoire. Celles qui prennent du poids sur la Toile se construisent en structure de réseaux. »
En comparant les chiffres de fréquentation de eglise.catholique.fr, le site officiel de l’Église catholique de France, et ceux de topchretien.jesus.net, portail protestant évangélique porté par les Assemblées de Dieu, Didier Long note que le portail d’information catholique fait deux fois moins de trafic que celui des évangéliques…
« Il faut bâtir sa présence sur Internet avec une pensée en réseau, qui permet d’avoir des gens qui créent en communauté, celles-ci se fertilisant les unes les autres de manière “ virale ”, comme les différents sites de topchretien.jesus.net (2) se sont entraînés dans un cercle vertueux. Le parallèle avec l’histoire de la propagation de l’Évangile devrait nous inciter à réfléchir. »
Ce spécialiste du web s’inquiète un peu pour les catholiques : « La manière d’appréhender Internet met en lumière les très faibles relations qui existent entre les “ communautés ” dans l’Église catholique. » Il arrive que des paroisses voisines n’aient pas d’autres liens numériques entre elles que celui renvoyant au site officiel de la Conférence des évêques de France (CEF). Les sites de mouvements d’Église pourtant très actifs au quotidien ne sont que rarement mentionnés…
Pierre-Yves Kirschleger nuance la comparaison flatteuse pour les protestants : « Les passerelles sont malgré tout assez rares entre les différentes familles protestantes. » Pour le pasteur Gilles Boucomont, très actif sur le web (voir ici, ici ou encore ici), « topchretien.jesus.net et toute sa galaxie (2) est un vrai succès… basé sur un succès égal dans la réalité : les Assemblées de Dieu sont l’une des plus grosses Églises pentecôtistes de France. Internet est un facteur multiplicateur de croissance qui ne peut agir s’il n’y a pas de volonté dynamique et une communauté humaine vivante bien réelle derrière la façade virtuelle. »
Pasteurs et prêtres
Tous les experts interrogés par TC s’accordent : les pasteurs et prêtres de ces communautés chrétiennes devraient être les premiers aujourd’hui à investir les blogs, les forums, les plateformes d’information et tous les réseaux sociaux. Ils auraient même, sans forcément le savoir, certaines prédispositions.
« Dans les formations sur Internet que je propose, les prêtres comprennent cinq à dix fois plus vite que les chefs d’entreprise, estime Sébastien Desbenoit, webdesigner et formateur web. Il y a une envie forte. » L’affluence en constante augmentation aux journées des Tisserands, rencontres sur les évolutions d’Internet destinées aux responsables communication des diocèses et mouvements catholiques confirme cette impression.
Pour Muriel Menanteau, en charge de la communication pour la Fédération protestante de France (FPF), « les choix d’investir ou non Internet sont aussi liés aux ressources humaines, à la disponibilité des gens ». Dans les communautés protestantes, moins hiérarchisées que les catholiques, on pourrait penser que les baptisés s’emparent plus facilement de ce genre de tâches.
Rien d’évident, pourtant. « Le protestantisme s’est longtemps structuré par différenciation avec le catholicisme et notamment par rapport à la centralité du rôle du prêtre, rappelle Gilles Boucomont. Comme toute chose à laquelle on s’oppose, en fin de compte, on la recrée : notre structure est aujourd’hui beaucoup plus pasteuro-centré qu’on ne l’imagine. Et cela se voit sur Internet. »
Le côté pratique n’est pas simple non plus, explique Sébastien Desbenoît. « Les prêtres doivent comprendre qu’une page d’un site ou d’un blog ne montrant que les horaires de leurs célébrations, leurs prières préférées ou un mur Facebook constellé de “ je viens de finir mon bréviaire ” envoient une image très liturgique de l’Église. Or, l’Église, c’est bien plus que cela. Ils le savent, mais ils n’arrivent pas à l’exprimer sur le net. »
Souvent, l’envie d’être présent sur Internet se heurte à des réflexes culturels qui limitent fortement l’impact de l’investissement. Un exemple : certains évêques tiennent des blogs mais… aucun n’a ouvert les commentaires qui permettraient un dialogue direct. Même dans les lieux dits « personnels » sur Internet, c’est-à-dire créés par un individu qui n’est pas particulièrement missionné pour s’adresser aux internautes, on reste dans une conception « descendante » de la vérité.
Remettre au goût du jour certaines pratiques
Marc Favreau, blogueur, complète : « S’exprimer sur Internet, c’est descendre à la suite de Paul dans l’agora des nations, accepter de ne pas toujours être dans l’affirmation au nom d’une loi supérieure. Quelque part, Vatican II a placé les fidèles de l’Église catholique dans un rôle de serviteurs annonçant ensemble la bonne nouvelle du Christ. Peut-être que si l’institution et ses membres étaient allés au bout de l’esprit du Concile, ils seraient tous plus à l’aise aujourd’hui sur le net. »
Vraie rencontre de l'autre sur Internet ?
Sans faire de révolution, les évêques essaient d’entrer dans l’arène différemment : depuis l’an dernier, quatre d’entre eux se retrouvent dans un groupe de travail spécifique pour « réfléchir à une manière de vivre la pastorale en prenant en compte Internet », explique Mgr Bernard Podvin, porte-parole de la CEF. « Il nous faut comprendre l’anthropologie d’Internet, chercher l’homme actuel, comment il est transformé et façonné par la culture numérique avant de penser à une pastorale », ajoute-t-il.
Il se dit qu’Internet offre la diversité à portée de clic. Mais allons-nous vraiment « découvrir » l’inconnu sur Internet ? « Deux tendances coexistent sur le web : l’une à l’individualisation des pratiques et l’autre à la recherche très forte de communauté dans le monde religieux en général », note Isabelle Jonveaux, sociologue spécialiste des religions.
Les gens vont donc chercher une dimension communautaire sur Internet, qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Et Mgr Podvin de continuer : « J’ai l’impression que le numérique intensifie la notion d’élection de communauté : l’internaute la choisit, à travers tel ou tel site, tel forum. Mais pour le chrétien, la communauté permet aussi de rencontrer la différence. Le numérique nous fait-il vraiment aller vers celui qui est différent de nous ? L’autre m’oblige, comme disait Levinas, est-ce qu’autrui sur Internet m’oblige vraiment ? »
Dans leur composition technique, les outils d’Internet sont sur ce point ambigus : le moteur de recherche Google vous propose automatiquement les mots déjà cherchés sur le même ordinateur. Les publicités qui s’affichent cor- respondent à votre « profil », déterminé en fonction d’algorithmes savants et de données récoltées lors de vos précédentes navigations sur le web. Il en résulte, de fait, une impression de repli plutôt que d’ouverture à des réalités nouvelles.
Confrontation d'opinions ou dialogue ?
Souvent, les blogs et les réseaux sociaux donnent le sentiment d’ouvrir des débats. Mais permettent-ils un véritable dialogue ? « Non, ce sont des cris qui se succèdent les uns aux autres », se désole Gilles Boucomont. Les blogs protestants, surtout évangéliques, sont souvent dans l’affirmation tonitruante de la foi. La vérité est une, claire, simple… Jesus Is the Answer ( Jésus est la réponse ), disent les prédicateurs américains, volontiers traduits par leurs émules francophones.
Quant aux blogs et sites catholiques, très – trop – souvent, ils se sont créés dans une optique combattante, pour défendre un édifice dogmatique ou l’institution en général contre les « attaques » du siècle. Leur ton s’en ressent parfois d’une manière caricaturale. L’exemple le plus frappant est le blog catholique ayant la plus large audience aujourd’hui : le Salon Beige.
Ses auteurs vont chercher tous les arguments possibles et imaginables disponibles sur la Toile, avec une prédilection pour les sites intégristes et d’extrême droite, du moment qu’ils défendent l’Église catholique conçue comme un corps monolithique. « Notre objectif est de dire aux catholiques, aux gens qui pensent comme nous, qu’ils ne sont pas seuls » explique Michel Janva, l’un des fondateurs. Leurs débuts ont d’ailleurs été marqués par le soutien d’un forum particulièrement replié en communauté, le Forum catholique, où les traditionalistes aiment se retrouver.
inter
D’autres blogueurs catholiques cherchent pourtant à sortir de leurs chapelles : réalisant qu’ils débattaient par commentaires interposés chacun sur leur blog, certains ont créé des plateformes à plusieurs « plumes », à l’image de letempsdypenser.fr. et sacristains.fr.
Dans l’ombre des « grands » blogueurs, de multiples chrétiens animent aussi la toile (on en retrouve quelques uns sur le site de la Fasm). La plupart avaient seulement quelque chose à dire de leur foi, de leur vie, de leurs engagements.
Et la diversité de moyens qu’offre Internet a trouvé grâce à leurs yeux : être une petite main derrière le site d’une paroisse, ouvrir son blog, rejoindre une plateforme, témoigner sur sa page Facebook, discuter sur Twitter, contribuer aux définitions de Wikipédia ( qui a cruellement besoin de chrétiens ! ). Cet outil est à la disposition de tous. Pas seulement des plus militants.
(1) Les protestants en France, une famille recomposée, dir. Jean-Paul Willaime et Sébastien Fath, Labord et Fides, 2011.
(2) Le réseau jesus.net propose une « culture totale », pour reprendre les termes de P.-Y. Kirschleger, avec plusieurs sites connectés : Top chrétien, Top Mission, Top message et les sites moneglise.jesus.net et connaitredieu.jesus.net.
Les Églises de France sur le net
Aujourd’hui, tous les diocèses de France ont un site. La Conférence des évêques de France (CEF) héberge près de 850 sites qui arborent un nom de domaine se finissant par catho lique.fr ou cef.fr. Ils attirent de 3 à 4 millions de visites par mois. Parmi eux, beaucoup de sites de paroisses sous forme de simple vitrine. Peu de différence avec leurs confrères protestants. « Sur les vingt-six unions d’Églises membres de la Fédération protestante de France (FPF), seules deux n’ont pas de site », explique l’historien Pierre-Yves Kirschleger. Mais « les sites dynamiques sont peu nombreux ». La FPF comme la CEF tentent cependant de valoriser le dynamisme de leurs réseaux : la première, au-delà de son site propre qui suit déjà cette volonté, participe à la prochaine ouverture d’un portail des médias protestants ; la seconde met l’actualité au cœur de son site depuis 2008.
Source : http://www.temoignagechretien.fr/