Provocation - A Neuchâtel, une exposition s’interroge sur l’orientation sexuelle du Christ. Polémique annoncée à la veille de
Pâques.
« Blasphème!» Le mot a été écrit d’une main rageuse à la deuxième page du livre d’or de l’exposition. C’est l’œuvre d’un visiteur anonyme qui, de passage au
vernissage organisé jeudi soir à la Galerie C de Neuchâtel, a voulu crier son indignation. Le simple titre de l’exposition, présentée ici jusqu’au 12 mai, lui est apparu comme une insulte faite à
Dieu: «Would the Christ have been gay?» («Est-ce que le Christ aurait été homo?»)

Judas amoureux
Il faut sonner pour pénétrer dans la Galerie C, située à deux pas du lac. A peine est-on entré que le ton est donné: un Christ gît au sol avec, à ses pieds, le drapeau arc-en-ciel de la communauté gay. A l’étage, des tableaux mettent en scène la passion brûlante de Judas pour Jésus. Plus loin, une toile mélange une scène de procession catholique à une image de la gay pride. Il y a encore ce tableau inspiré du «Christ au tombeau» de Holbein (1521), qui montre un gisant s’adonnant au plaisir solitaire. On l’aura compris: les quatre artistes qui exposent ici ont tous cherché à explorer le thème de l’identité sexuelle de Jésus. Quitte à le recycler en pure icône gay.
Provocation gratuite? Difficile en tout cas de ne pas faire le rapprochement avec ces œuvres qui, à l’exemple de la pièce «Golgota Picnic», ont fait scandale en France l’an passé en détournant de manière provocante la figure du Christ (lire encadré). Christian Egger, directeur de la Galerie C, jure pour sa part ne pas avoir recherché la provocation à tout prix. «Les quatre artistes, c’est vrai, ont une position critique vis-à-vis de l’Eglise et de sa conception de la morale sexuelle. Mais le but n’est pas de blasphémer ni de jeter de l’huile sur le feu. J’ai juste cherché à mettre à disposition un lieu pour la réflexion et le débat.» Il admet pourtant avoir délibérément choisi la veille de Pâques pour inaugurer l’exposition, sachant que la réaction n’en serait que plus vive. Il dit s’attendre par ailleurs que certains se sentent offensés: «Je comprends que cela puisse blesser ou choquer des communautés. Tout comme la communauté gay peut être blessée quand on dit que l’homosexualité est un péché!» L’exposition, quoi qu’il en soit, a bénéficié de soutiens officiels. Conservateur du Musée d’art et histoire de Neuchâtel, Walter Tschopp a même prêté à la galerie une des pièces maîtresses du musée, une déposition de croix datant du XVIe siècle qui côtoie désormais un tableau associant la Vierge Marie à une mère porteuse. «Il n’y a rien de choquant dans ce mélange, observe Walter Tschopp.
L’exposition est peut-être provocatrice, mais certainement pas offensante. Si ça peut heurter certains chrétiens, c’est uniquement parce qu’ils considèrent à tort l’homosexualité comme une maladie.» Aucune chance, assure le conservateur, de revivre en 2012 le scandale de Fri-Art, à Fribourg, en 1981. Lui-même était l’un des organisateurs de cette exposition majeure qui avait eu l’audace d’exposer trois tableaux de Joseph-Felix Müller montrant un Christ en érection. Après deux semaines, la police était intervenue pour confisquer les tableaux. Condamnés pour «obscénité sexuelle», Walter Tschopp et ses pairs avaient dû aller jusqu’à la Cour des droits de l’homme à Strasbourg pour récupérer les œuvres.
Fribourgeois d’origine, Christian Egger avoue de son côté qu’il n’aurait «peut-être pas osé» organiser son expo en terre catholique. Il s’attend à susciter moins de réactions viscérales à Neuchâtel, où, protestantisme oblige, «on est plus dans la retenue». Le galeriste conclut qu’il n’a prévu aucune mesure de sécurité spécifique, mais n’exclut pas des débordements: «J’ai déjà reçu deux messages de menace. De toute façon, dès qu’on réfléchit, on prend des risques.» (Le Matin)