Document sur les camisards faisant suite aux prophètes des Cévennes.
" Je vous ai écrit....... pour réveiller vos souvenirs" (Romains ch.15v15).
" Donne-nous encore des jours comme ceux d'autrefois" (Lamentations ch.5v21).
Je ne puis ( et du reste ce serait insuffisant) vous raconter toute l'histoire qui s'est déroulée depuis 1547, l'année où commencèrent les premiers mouvements du Réveil dans les
Cévennes. J'ai pensé, qu'il valait mieux essayer de faire passer devant vous quelques-unes des scènes principales, décisives, de cette histoire; mais non pas comme au cinéma, dans des
photographies plus ou moins truquées. Je vous apporte quelques récits, minutieusement
authentiques, parlant avec la voix même de ceux qui en furent les tragiques héros.
Les Camisards chantèrent des Psaumes, certains versets de certains Psaumes dans certaines circonstances. Tâchons de les entendre avec le même son, le même ton, plein de la même humiliation, de la
même douleur, des mêmes désirs, de la même foi, du même enthousiasme héroïque.
Ces Psaumes ont été pénétrés de toute la foi et de toute la douleur de tous les huguenots de France, depuis les cardeurs et les fouleurs de laine de Meaux jusqu'aux pâtres et aux laboureurs des
Cévennes. Ce n'est pas à quatre voix qu'ils avaient envie de chanter, quand ils s'agenouillaient pour crier : Miséricorde! Ce n'est pas à quatre voix qu'ils avaient envie de
chanter, quand les soldats les traquaient. Ce n'est pas à quatre voix qu'ils avaient envie de chanter dans les tourments du bûcher ou de la roue. La vérité toute simple est que pour eux il y
avait ici une question non pas musicale, mais religieuse. Les Psaumes n'étaient pas un ornement, un hors-d'oeuvre, mais le cri de leur coeur.
A Dieu ma voix j'ai haussée
et ma clameur adressée,
A Dieu ma voix a monté,
Et mon Dieu m'a écouté.
(Psaume 78)
Le Psaume de
l'humiliation
Ce sera entrer, tout de suite, dans l'esprit des Assemblées du Désert, que de
commencer par le Psaume 51,"Miséricorde et grâce!" Miséricorde! C'était le mot que prédicants et fidèles criaient ensemble à genoux, dans les
lieux escarpés des montagnes, où ils se rassemblaient clandestinement, et les échos du voisinage retentissaient du cri : "Miséricorde!"
Vers la
fin de 1685, beaucoup de huguenots avaient abjuré, pour la forme, sous la contrainte violente des dragonnades épouvantable. Obtenues par la force, ces conversions n'avaient, bien sûr, point de
valeur. Du reste, il se produisit bientôt un réveil chez un grand nombre, sous l'influence des prédicants d'abord, des prophètes ensuite, dont le message appelait avec force le peuple à la
repentance. Voici, par exemple, une sorte de"testament moral" écrit par un avocat notable de Montauban, au moment où il va abjurer, après avoir subi
pendant 26 jours la présence des dragons.
" Pressé par ce logement* qui est fort; intimidé par la menace d'être foulé
extraordinairement.... Craignant, de plus, tout ce que peut faire craindre la fureur du soldat qui dans la chaleur du pillage.... crie déjà hautement: A l'huguenot! A la
potence!
Et plus que tout cela, épouvanté par les réflexions de mes amis qui me disent que ma
présence m'attirera , après tous les autres maux, celui d'être privé de l'éducation de mes enfants.
Attiré enfin par les offres qu'on me fait de laisser mon très cher père achever le reste de ses jours en repos sans l'inquiéter pour la conscience. Moi, Pierre G., docteur et avocat,
habitant Montauban, âgé de 46 ans, succombe sous le poids de tant de maux et de tant de craintes, et après avoir versé un torrent de larmes je vais, avec une douleur inconcevable, passer une
déclaration que j'abandonne la religion dans laquelle Dieu m'a fait naître, que j'ai professée avec un grand repos de conscience, et dans laquelle j'espérais de vivre et de mourir sous la foi des
Edits de nos rois.... Je prie Dieu qu'il me pardonne une si grande faute par sa miséricorde infinie pour l'amour de son Fils notre Seigneur Jésus-Christ.
Je fais le présent écrit pour être un témoignage de la connaissance que j'ai de la faute que je vais faire, et de ma forte passion de me voir en liberté de me réunir ( à nouveau) aux
églises dont la violence me sépare."
Voici le témoignage d'un maître d'école à Mougon
(Deux-Sèvres) 1681:
" Dès que ces satellites**connurent que je m'étais ôté de leur chemin, l'un deux amena votre mère dans la chambre où étaient les autres et leur dit
qu'il fallait la faire chauffer. Ils la mirent aussitôt au coin de la cheminée et allumèrent un feu qui se faisait sentir dès la moitié de la chambre, quoi qu'elle fût très grande. Ils
juraient et blasphémaient le nom de Dieu à leur ordinaire, disant qu'ils la feraient brûler si elle ne se voulait convertir. Cependant ils ne gagnèrent rien sur son esprit. Dieu la soutint
par sa bonté. Elle fut pourtant si affaiblie par cette grande chaleur.... qu'elle resta presque sans aucun sentiment ni connaissance". Ce fut
le vicaire de Mougon, ami de la famille, qui arracha la femme aux soldats, proposant de la prendre chez lui. Puis, des voisines catholiques l'enlevèrent et la cachèrent. Le lendemain matin
toute la paroisse se trouva être changée de religion.
Miséricorde était le grand mot des inspirés des
Cévennes.
"Dans la nuit du 5 au 6 Septembre 1701, raconte l'inspiré Roux, au milieu d'un orage affreux, toute une troupe d'enfants et de grandes personnes parcouraient les rues du village de Cruviers, avec
ces cris de supplication: "Faisons pénitence! Repentons-nous! Pardonnnons-nous!" Rien de pareil ne s'était vu depuis ces multitudes qui suivaient le précurseur au bord du Jourdain,
ou le Fils de l'homme au désert. Le prophète leur criait" Repentez-vous, faites pénitence d'avoir abjuré! O Seigneur, continuait-il, fait miséricorde à ces pauvres pécheurs!" Et
tombant la face contre terre le peuple répétait avec des sanglots: " Seigneur, miséricorde! miséricorde!"
C'est par un jour solennel
de jeûne et d'humiliation, c'est par le chant du Psaume 51 que
s'est ouvert le Désert lui-même. Début digne de cette succession de merveilles! C'était une coutume générale des huguenots de célébrer, dans les grandes circonstances un jour de jeûne et
d'humiliation, quelquefois aussi avant de rendre grâces à Dieu. le 7 Octobre 1579 à
Nimes, il y eut un culte à 8h du matin, un culte à 3h et un culte à 4h de l'après-midi. A Charenton, au premier de ces trois cultes, le 19 Avril 1658 on chanta le Ps. 38, le Ps.103, le Ps70,
le Ps.74 et le Ps.79.
Ainsi donc, malgré le déferlement d'une cruauté inouïe, le Culte public reprenait secrètement. Ceux qui avaient échappé aux dragons vivaient dans les bois. Ces "fugitifs" prirent
l'habitude de célébrer entre eux un culte familier. Bientôt, parmi eux, quelques hommes furent
choisis par leurs amis " pour prêcher et administrer les sacrements" (1686). Ils convoquèrent, la nuit, des assemblées" dans des granges isolées ou dans des lieux écartés, "au
désert".Ils prêchèrent et donnèrent la Cène. Les autorités en Languedoc, les nommèrent des
"prédicants."Les lettres de Jurieu annonçaient à toute la France la reprise du culte, déclarant légitime la vocation de ces conducteurs "extraordinaires."
Il y avait alors à Toulouse, un jeune avocat, né à Nimes en 1647, âgé de
36 ans, Claude
Brousson.***
Saluons ici respectueusement ce Claude Brousson le plus grand prédicant, au
commencement du Désert, comme les Antoine Court et les Paul Rabaud furent les plus grands à la fin. Claude Brousson était doux, d'une nature sensible et irénique, apostolique. Se trouvant dans les Cévennnes, caché dans une bergerie, quelques paysans vinrent le rejoindre, et lui demandèrent
d'être leur pasteur lui qui n'était qu' avocat. Appelé par la détresse du peuple, sentant l'appel intérieur de Dieu, il accepta la vocation. Il est prédicant, cela veut dire qu'il erre sans trêve, sans repos. Sa tête est mise à prix.
Il est environné d'une armée de soldats, d'une armée d'espions. Il couche sur la paille, sur le fumier, sous des fagots, sous des arbres dans les fentes des rochers, tantôt brûlé par le soleil,
tantôt gelé par le froid terrible de la montagne, sans oser faire du feu, de peur de se trahir. Souvent, il est torturé par la faim, par la soif. Mais dit-il, "ces misères lui étaient douces,
lorsqu'il considérait qu'il souffrait pour la gloire de Dieu, et pour la consolation de son peuple." Il prêcha l'évangile de désert en désert. Il faisait souvent trois ou quatre assemblées par
semaine, jusqu'à ce que le mauvais état de sa santé et de sa poitrine, qu'il ruina par ce travail continuel, le fit arrêter quelques mois. Dans les assemblées de communion, durant quatre heures
ou quatre heures et demie, soit pour les prières, soit pour le chant des Psaumes, qu'il était souvent obligé de conduire et de soutenir, soit pour la prédication. Faut-il s'étonner si les pauvres
paysans auxquels le prédicant donnait ainsi sa vie goutte à goutte, avant de donner d'un coup, tout ce qu'il lui en restait, sur l'échafaud, n'aient pas su lui témoigner leur reconnaissance
autrement " qu'en se jetant à son cou, en le baisant et lui souhaitant mille bénédiction."
Mais les prédicants étant traqués" comme des sangliers"
beaucoup durent quitter la France. Brousson dut partir lui aussi, mais convaincu
avec Jurieu**** que la divine délivrance approchait, il revint dans les Cévennes. La puissance de sa parole galvanisait ses auditoires; et sa piété, son intelligence,
lui donnèrent un immense ascendant. Il formait ses compagnons à la prédication et aux fonctions pastorales. Hélas, la plupart de ces nouveaux "ministres" furent exécutés. Brousson dut quitter
encore le Languedoc. Il revint en Suisse et alla en Hollande. Mais il ne put se faire à la vie paisible de la Hollande et repartit pour un voyage missionnaire en France où, jusqu'en 1689, il
prêcha dans de multiples provinces, et notamment, encore, dans les Cévennes. Mais il finit par être arrêté en Béarn. Dans une lettre à sa femme, on peut
lire:
"Il faut que je suive la vocation de Dieu et le mouvement de ma conscience et il faut
que vous fassiez à Dieu le sacrifice de toutes les considérations de la chair et du sang, pour acquiescer à sa volonté." Une foule immense, que contenait l'armée, avait envahi l'esplanade de Montpellier, où Brousson devait mourir
sur la roue. On le vit s'avancer, précédé de 50 mousquetaires et de 20 tambours qui couvraient sa voix. Il chanta le Psaume: " jamais ne cesserai de magnifier le Seigneur." Il est mort
en apôtre", a écrit un témoin, "il a affermi plus de gens par sa mort que par sa prédication."On fit circuler ses lettres et son fameux "sermon de la colombe":" Ma colombe, dit le Seigneur, qui te caches dans les fentes des rochers et les cavernes des montagnes, tu ressemble à l'Eglise, qui n'habite pas les palais des rois, ni
les maisons magnifiques...mais les bergeries, les étables, les garrigues et le creux des torrents. La colombe est un oiseau doux et paisible...."
O prédicants, héros de la patience et de la douceur évangélique, on serait tenté de dire angélique! Vous nous plongez dans un abîme d'humiliation; nous vous admirons. Vous nous
couvrez de honte! Vous nous faites sentir tous les remords de notre lâcheté, et de notre indignité; nous vous aimons. Et c'est Brousson qui, dans les cultes solennels de jeûne, demandait aux
fidèles de se mettre à genoux pour chanter les Psaumes, et, en particulier, le
Psaume 51:
Miséricorde et grâce, Ô Dieu des Cieux!
Un grand pécheur implore ta clémence.
Use en ce jour de ta douceur immense,
Pour abolir mes crimes odieux.
O Seigneur! lave et relave avec soin,
De mon péché la tache si profonde,
Et fais-moi grâce en ce présent besoin;
Sur ta bonté, tout mon esprit se fonde.
( Sources diverses
sélectionnées).
A SUIVRE.
* INTENDANCE MILIT. Action de loger des troupes chez l'habitant. Billet de logement. Ordre de Réquisition imposant de loger un militaire.
** 1.
Vieilli. Homme attaché au service d'un
autre qu'il escorte et auquel il sert de garde du corps. Sylla, alors consul, voulait pour lui-même la conduite de la guerre d'Asie. Sulpicius et ses
satellites l'enfermèrent dans la maison de Marius et lui firent jurer de se désister (Michelet,
Hist. romaine, t. 2, 1831, p. 175).
2. P. ext., péj. Homme entièrement
dévoué aux ordres d'un autre. Nasuf (...) en entrant chez moi la première fois, (...) avoit, de concert avec le calife,
fait cacher autour de ma maison une troupe de satellites armés, qui devoient paroître à un signal convenu (Genlis, Chev. Cygne, t. 2, 1795, p. 272).
*** Le 31 décembre 1692, Brousson s'adresse encore au Roi Louis XIV : « Dieu nous a ordonné de nous
rassembler au nom de son fils, et cependant Votre majesté nous le défend. Dieu le veut et Votre Majesté ne le veut point. À qui devons-nous obéir ? Que Votre Majesté, s'il lui plaît, le juge
elle-même ».
**** Né à Mer sur la Loire, dans une famille de pasteurs. Sa mère est la fille de Pierre Du Moulin, premier
pasteur du temple de Charenton (1568-1658).Il fait des études de théologie à Saumur puis à Sedan où il obtient son doctorat. En 1674, il est nommé professeur de théologie et d'hébreu à
l'académie de Sedan. Mais en 1681, l'académie réformée de Sedan doit fermer sur ordre de Louis XIV et Pierre Jurieu se réfugie à Rotterdam où il va être pasteur de l'Église wallonne (Église
protestante de langue française aux Pays-Bas) et professeur à l' École Illustre.C'est là qu'il meurt en
1713.